La milpa, une combinaison millénaire de plantes, dans l'air du temps
La Révolution Verte et son obstination pour la monoculture semblait tirer un trait sur cette pratique millénaire. La FAO[1] vient pourtant de lui rendre hommage et de l'élever au rang de « Système ingénieux du patrimoine agricole mondial[2] ». La milpa est une combinaison savante de plantes utilisée par les peuples mésoaméricains pour cultiver le maïs depuis des millénaires. Elle a su tirer le meilleur des caractéristiques du maïs, des haricots et de la courge, les caractéristiques de l'un répondant aux besoins des autres. Pour un rendement à taille humaine bénéficiant directement à l'agriculteur et dans le respect de la terre et de l'environnement.
La milpa est un petit écosystème combinant la culture de trois espèces pour une association positive du maïs, des haricots et de la courge. Elle est le plus ancien modèle agricole de Méso-Amérique ainsi que le plus répandu qui demeure encore utilisé de nos jours. Le principe? On combine étroitement ces trois cultures et ce sont les atouts de l'une qui vont bénéficier aux deux autres. Bien sûr le choix initial de ces trois plantes n’est pas dû au hasard : elles constituent l'identité agro-culturelle des peuples méso-américains et sont depuis des millénaires la base de leur alimentation.
Aux origines de la milpa
Aux origines, il y a une légende. Celle des Trois-Soeurs des Iroquois nord-américains qui a préfiguré la milpa des Mayas. Ainsi, « les Amérindiens voyaient les esprits de ces trois plantes comme trois sœurs qui aimaient rester l'une près de l'autre: l'esprit du maïs, l'esprit du haricot et l'esprit de la courge. Les plantes que ces esprits représentaient étaient considérées comme des cadeaux du Créateur. Selon la croyance iroquoise, ces trois plantes «sœurs » devaient vivre en symbiose. Certains prétendent qu’au clair de lune, elles prenaient des formes humaines féminines et dansaient à l'ombre des champs de maïs, chantant des louanges à leur mère, la terre », relate un blog spécialisé[3].
Au delà de la technique agricole et de ses bénéfices, il y a bien un trésor culturel à la croisée de différentes cultures ancestrales des Amériques. Des Iroquois et des Tewas de l'Amérique du nord, jusqu’aux Mayas puis aux Aztèques méso-américains, cette technique est un formidable témoin des habitudes de vie de ces populations. Elle fait aussi partie du patrimoine culturel immatériel de chacune.
« L’aire culturelle de la Méso-Amérique est au coeur de la domestication des plantes et de l’évolution agricole dans le monde », précise d'ailleurs la FAO en exposant l'importance de la milpa dans cette région. « À travers des centaines de générations, les agriculteurs méso-américains ont sélectionné et échangé leurs semences, les ont améliorées et ont créé de nouvelles espèces. Le système solaire milpa a permis une importante production d’aliments riches, variés et équilibrés sur des superficies restreintes. » On dépasse largement le cadre de la technique.
Une combinaison savante de plantes
Qu’est ce donc exactement que la milpa? « Elle désigne la parcelle familiale ou communautaire où sont semés le maïs, les haricots et la courge », explique le Comité français pour la solidarité internationale.
Comment est-ce que cela fonctionne? « Le haricot, plante légumineuse, est semé en même temps ou juste après le maïs. En grandissant, il s’enroule autour du plant de maïs. Comme il fixe l’azote de l’air, cela favorise la croissance de la céréale. De leur côté, les courges sont des plantes rampantes, dont un seul pied peut recouvrir une grande surface de terrain. Cultivées entre les plants de maïs, les courges permettent de protéger le sol contre l’érosion hydrique et éolienne. En outre, elles permettent de conserver l’humidité des sols et minimisent donc les impacts de la sècheresse. Cela améliore les rendements de maïs. Les pratiques agricoles de la milpa varient en fonction des régions de production, puisqu’elles s’adaptent aux conditions biologiques du milieu», continue-t-on d'apprendre dans un article de l'association[4]. Sans même parler des bénéfices pour la terre : la milpa impose des cultures sur des surfaces réduites (maximum 2 hectares) et nécessite des périodes de jachère.
Des bénéfices à tous les niveaux
Poursuivons par les apports systémiques. Les trois productions en question dans la technique de la milpa se trouvent être trois des produits de base les plus consommés à travers l'histoire des peuples d'Amérique Centrale. C’est encore le cas aujourd'hui au Mexique. Pratiquer la milpa permet donc une autosuffisance alimentaire non négligeable quand on considère le désastre de l'agriculture moderne à hauts rendements pour les populations productrices (appauvrissement des sols, dépendances aux grands groupes céréaliers, trop grande utilisation des engrais et des pesticides chimiques…).
Viennent ensuite les intérêts environnementaux. La pratique de la milpa n’utilise que des ressources produites localement et ne nécessite quasiment pas d'ajout de pesticides. Dans le reportage de Marie-Monique Robin, « Les Moissons du Futur », produit par la chaine Arte[5], des journalistes sont allés à la rencontre d'une association d’agriculteurs mexicains dans la région de Guerrero, l'association « Tous ensemble ».
Ces derniers ont décidé de délaisser les procédés de l'agriculture intensive de la Révolution Verte pour revenir à leur technique ancestrale : la milpa. Les journalistes filment ainsi l’un de ces agriculteurs, qui, fier du caractère naturel de son activité, se met à boire la solution insecticide qu’il vient de fabriquer. Loin de s’écrouler, il assure qu’avec la milpa, les cultures n’ont presque plus besoin de traitements et qu’une solution faite essentiellement de piments, d'ail et de citrons, produits localement, suffit amplement à protéger les cultures. On est loin des pesticides chimiques.
Grâce à la milpa, des agriculteurs redécouvrent la souveraineté alimentaire
« Nous avons commencé à promouvoir l'agriculture biologique (la milpa, ndlr) car les sols sont pauvres dans notre région. Après avoir fait un diagnostic avec les paysans, nous avons conclu que c’était les semences « améliorées » qui nous empêchaient de produire suffisamment d'aliment. Nous avons donc décidé de revenir aux semences traditionnelles locales pour récupérer nos sols. Nous avons commencé avec quelques parcelles expérimentales et ça a très bien marché », expose, dans le reportage de Marie-Monique Robin, le représentant des agriculteurs de l'association mexicaine « Tous ensemble ».
« Pour nous c’est la seule façon d'avoir une nourriture saine et durable. Le plus important étant que nous produisons nous-même nos aliments sans dépendre de l'extérieur.» Une technique ancestrale qui vaut bien mieux que les promesses des grandes firmes agroalimentaires et qui a rendu aux 1800 familles de l'association « Tous ensemble » leur souveraineté alimentaire.
Florian Kunckler – Avril 2013
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