Texte – De la déforestation évitée : «Faut-il payer pour sauver les forêts?»
Les mécanismes induisant une incitation financière à la préservation des massifs forestiers ont le vent en poupe. Mécanisme REDD+ (Reducing emissions from deforestation and forest degradation – lien vers AP méca REDD- ), programme PSE (Payment for Ecosystem), programme Socio Bosque en Equateur. Malgré leurs différences, toutes ces initiatives semblent s’unir d’une seule voix affirmative quant à répondre à la question : Ne vaut-il pas mieux préserver ce qui existe avant d’envisager de le recréer ? Payer pour sauvegarder les forêts est aujourd’hui entré dans les mœurs. Ce phénomène est même devenu le nerf de la guerre en termes de déforestation évitée (lutter contre la déforestation en amont plutôt que de replanter ensuite). Mais ce n’était pas gagné d’avance car pour faire accepter qu’un pays riche paye directement les populations d’un pays en développement pour préserver des forêts à l’autre bout du monde, les arguments avaient intérêt d’être à la hauteur. Heureusement, des arguments il y en a ! Du point de vue de l’efficacité tout d’abord. Remplacer le bâton par la carotte, ce n’est pas un secret, a souvent fait ses preuves. En rémunérant pour la préservation plutôt qu’en réprimant les excès, l’efficacité de la lutte contre la déforestation n’en sera qu’augmentée (malgré tous les problèmes éthiques que cela peut engendrer pour certaines sensibilités). Dans l’intérêt des populations autochtones De plus, cela revient à mieux prendre en compte les impératifs des populations qui vivent dans ces zones. Prôner la lutte contre la déforestation, ce n’est pas prôner la pauvreté économique. En effet, les retombées de l'exploitation industrielle de la forêt ne contribuent pas, en grande majorité, au recul de la pauvreté. La dégradation des écosystèmes qu’entraînent ces activités ne fait souvent que l’accentuer. Au vu des pratiques actuelles, les sociétés forestières à capitaux étrangers sont les principales bénéficiaires de l'exploitation des forêts d'Afrique centrale, d’Asie et d’Amérique. Et une fois détruites, ces forêts ne rapporteront plus aucun bénéfice, si ce n’est l’usage du sol. Pire encore, Mais là encore, comment sera géré ce sol ? Les paysans n’ont souvent guère de solution moins coûteuse et moins immédiate que de les transformer en pâturages. La pauvreté, l’expansion démographique et l’inégal partage des terres les mènent à cette activité. Pourtant, beaucoup de projets de déboisement voués à libérer des terres agricoles finissent piètrement : la pauvreté des sols oblige souvent à abandonner la terre après quelques années de culture intensive. Le maigre profit rapporté par la vente du bois ne compense pas la perte irréparable de la forêt et du sol. Pire encore, dans certains cas, la déforestation est synonyme de désertification. Les sols, exposés au rayonnement solaire direct et à l’effet mécanique des pluies, se tassent et deviennent improductifs (voir pour ce phénomène les tristes constats en Amazonie brésilienne). Pour en finir avec ces états de fait, il faut donner aux populations locales les moyens de ne pas céder à la déforestation, les moyens de ne pas succomber à la tentation de quelques poignées de dollars en échange de leurs parcelles. Pour cela, il faut en premier lieu que ces populations aient autorité sur leurs terres, ce qui n’est pas légion. Latitud Sur se bat en ce sens et aide les populations autochtones à récupérer la gestion de leurs lieux de vie et leur donne ensuite les moyens de ne pas succomber aux pressions des éventuels investisseurs (lien vers ZD ou projet en question). Tout cela mis en œuvre au travers d’alternatives comme l’exploitation durable et raisonnée des ressources de la forêt ainsi que via des projets de production (huiles et agroforesterie au Pérou) La responsabilité des pays industrialisés Puis n’oublions pas une chose, un des grands motifs de lutte contre la déforestation reste l’effet du phénomène sur les émissions de CO2 et donc sur le réchauffement climatique (un quart du CO2 émis provient de la déforestation). Ainsi, les efforts des pays les plus pauvres viennent ici compenser le bilan carbone désastreux des pays les plus riches. Il ne semble finalement pas si choquant que ces derniers contribuent à l’effort tout en intégrant dans la manœuvre les pays en développement ! Mais cela, la communauté internationale en a conscience et de nombreuses autres actions ont été entreprises pour tenter de redonner un coup de souffle à la planète. Des projets souvent coûteux qui ne rivalisent pas à moyen terme avec ce qui préexistait. On pense notamment aux plantations d’arbres ainsi qu’à la création de réserves. Ici encore, on ne remplace pas la déforestation évitée. Les actions de plantation ont souvent été maladroitement orchestrées, initiatives de personnes trop loin des préoccupations des locaux pour réellement agir dans leur sens, sans même préciser qu’une jeune plantation ne vaut pas une forêt primaire ! Les réserves elles aussi créent l’illusion qu’une forêt primaire ne peut exister qu’en l’absence d’êtres humains. Or c’est priver les populations vivant depuis toujours dans les forêts de leur milieu de vie. Sans compter que ces derniers ont bien un rôle à jouer dans la gestion de ces territoires, de la faune et la flore en présence, de la biodiversité. Des intérêts communs Car c’est là un autre aspect légitimant la déforestation évitée : les services environnementaux. En somme, les forêts jouent leur rôle à différents points de vue qui méritent de facto la mobilisation de tous. A travers la biodiversité, les puits de carbone, les ressources naturelles, leur rôle dans la régulation de l’approvisionnement en l’eau, sur la limitation de l’érosion des sols, elles légitiment par essence l’investissement de la communauté internationale. A ce titre, la Commission européenne assimilait, en 2007, la déforestation évitée avec un mécanisme de « paiement pour services environnementaux » dans le cadre d’un rapport sur la question[1]. Un principe économique D’un point de vue strictement théorique enfin, ce schéma n’est exempt de toute logique. Ainsi, au sens économique, « le principe sous-jacent est le suivant, les externalités environnementales peuvent être internalisées par négociation entre les agents économiques acceptant de payer pour réduire un problème environnemental et ceux acceptant une compensation pour réduire l’activité à l’origine du problème environnemental. »[2] Ce concept serait issu du théorème de Coase, bien connu des économistes. Après avoir posé cette définition, la journaliste Diane Simiu propose cette explication sur le site Croissance Verte: « Bien que les bénéfices des services environnementaux soient publics, le coût pour assurer leur provision incombe souvent aux propriétaires terriens locaux. […] Le principe consiste à dédommager ces “fournisseurs” de services environnementaux.» Une bonne idée sur le papier sans aucun doute. Mais l’application n’en est pas moins compliquée et l’expérience du programme REDD+ (lien vers AP méca REDD) a montré les failles d’un procédé réunissant des acteurs aussi éloignés que des grands industriels occidentaux et des populations autochtones dans les profondeurs de la forêt amazonienne.
Florian Kunckler – Octobre 2011 |