Du 22 avril au 4 mai, nous réalisions notre cinquième brigade à bord du Selva Viva. Embarquée dans cette aventure, une équipe franco-péruvienne constituée du côté français de deux médecins dont une homéopathe, une kiné ostéopathe, deux infirmières et du côté péruvien: un médecin, une sage-femme, une infirmière, une laborantine. L’équipe est complétée par les membres de Latitud Sur, indispensables pour l’organisation et les traductions et les membres d´équipage qui viennent aussi nous aider à « canaliser » la foule de patients.
Voici le récit de Laetitia Regourdal, infirmière engagée de notre première brigade 2013 :
« 23 avril 2013: 1er jour de la brigade médicale. Depuis le temps que j’espérais être là!
6h: Excitation intense due à l’aventure à vivre, je me lève de bon pied et, sitôt le petit déjeuner englouti, je rejoins Pedro, le médecin péruvien, afin de préparer des petits tas de médicaments à emporter. Il faudra veiller à ne pas trop en distribuer afin de pouvoir aider toutes les communautés mais s’ils sont tous malades, nous devrons bien les soigner! Positionnement délicat, tout sera une affaire d’équipe! Et quelle équipe. Au fil du temps, nous allons nous découvrir les uns les autres et devenir de plus en plus soudés.
Pour l’heure, me voilà donc avec Pedro, jeune médecin brillant, âgé de seulement 24 ans. A son contact, mon espagnol revient tranquillement. Les termes médicaux sont les mêmes, il suffit d’ajouter « a » ou « o » à la fin des mots. Dans la salle à manger du Selva Viva qui nous sert de réserve à pharmacie, nous nous regardons du coin de l’oeil, un peu intrigués et curieux, l’un vis à vis de l’autre, sans soupçonner qu’une belle complicité naitra entre nous. Etrange collaboration franco-péruvienne qui va être source d’une expérience hors du commun.
Bref, 8h, nous voilà partis à la rencontre de la communauté de Solterito. Ce que je ne sais pas encore, c’est que je vais vivre une expérience unique, intense, indélébile.
Parmi nous, il y a Ottmar, le dentiste. Les soins qu’il peut prodiguer sont à la hauteur de l’espagnol de Leslie, mon amie infirmière, c’est à dire minimalistes. Du coup, celle-ci se retrouve assistante dentaire. Ottmar n’a besoin que d’une chose: sa pince extractrice. Il retire les dents les plus douloureuses, afin d’éviter les infections voire les abcès cérébraux. Et toute la matinée, les habitants de tout âge vont venir se faire « amputer » de leurs dents, après une brève injection d’anesthésiant. Allez hop, un bout de coton, un comprimé d’antalgique, d’antibiotique et au suivant. Personne ne se plaint. Je pense que la sensation de douleur ne doit pas avoir le même sens d’une culture à l’autre. A leur place, je me serais évanouie depuis longtemps. Toujours est-il qu’Ottmar me donne l’impression de concourir pour le Guiness des Records du plus grand nombre de dents arrachées dans un temps réduit. Et la pauvre Leslie, pendant toute la campagne, elle entendra les dents craquer dans les mâchoires.
Quant à moi, j’aide les 3 médecins et la sage femme Maria Helena. Et hop, première heure, j’assiste Marc, médecin français, dans une ponction du genou. Puis Maria Helena vient me voir et me demande de stériliser des pinces et ciseaux car un accouchement va avoir lieu. Elle me dit, on va y aller dans 3/4 heure mais une heure plus tard, l’époux vient nous voir et nous annonce la naissance d’une petite fille. Nous accourons alors vers la maison sur pilotis, toute proche,où se trouve la jeune maman et son enfant.
J’entre dans l’unique pièce et découvre un nourrisson, posé sur une bache, à même le sol. A un mètre de là, sous la moustiquaire, la maman, épuisée.
Maria Helena s’affaire, elle me demande de clamper le cordon ombilical de part et d’autre afin que le papa puisse le sectionner, libérant ainsi à tout jamais la petite fille du placenta, et indirectement, de sa mère. Grand moment d’émotion pour moi. Les pinces à clamper sont trop petites, le cordon est cartilagineux. J’en tremble. Je n’ai jamais eu de cours sur l’accouchement et je n’ai que de vagues notions bien théoriques ! J’en oublie mon espagnol mais Maria Helena reste calme, me réexplique ce qu’elle veut que je fasse. Elle demande un bout de ficelle au papa, on le désinfecte sommairement et hop, le cordon ombilical est ficelé, nettoyé et protégé.
Puis Maria Helena s’occupe de la maman. C’est son 5ème enfant. Elle saigne abondamment. Maria Helena la désinfecte avec de l’alcool à 90 degrés. Aucun rictus de douleur. En guise de protection vaginale, une bande contenant du coton et des compresses feront l’affaire. Je complète le tout avec des compresses hémostatiques bien efficaces mais inconnues au Pérou.
A 4 pattes sur le sol constitué de planches percées à travers lequel on voit l’eau du rio, je m’occupe d’habiller la petite. Elle va commencer sa vie avec des vêtements qui semblent neufs, une aubaine au confins de cette jungle amazonienne. Mes gestes sont ceux d’une débutante. J’ai peur de lui casser la nuque, de blesser son petit crâne encore tout mou. Je suis tout sauf « à l’aise et tranquille »! Je place ensuite la petite dans les bras de sa maman. Aucun geste tendre, aucune marque d’affection. Est-ce que la maman est à ce point fatiguée? Est-ce leur culture? Cela restera un mystère. C’est ainsi. Puis, comme ça ne suffisait pas comme charge émotionnelle, j’apprends qu’elle va porter mon prénom. Je n’y crois pas. Mais on m’explique qu’il est de coutume de donner le prénom de la personne qui a participé à couper le cordon. Et en plus, ici , tous savent que c’est ma « 1ère fois ». Que d’émotions. Je deviens ainsi marraine et, honneur supplémentaire, le parrain n’est autre que Hernan, le capitaine du Selva Viva. J’avais apporté 2 peluches identiques. J’en offre une à la fillette. Je garderai l’autre avec moi. Au fin fond de la jungle amazonienne, un lien vient de naitre. A jamais, je serai reliée à cette communauté. Les mots me manquent, un tas d’émotions diverses jaillissent en moi. J’accueille sans rien comprendre à ce qui vient de se passer. La vie est surprenante. Et ce n’est que le 1er jour de la Brigade!!! »